The Arcade Fire - Neon Bible (2007)
Note album : 9,5/10
Entre l'impatience et la crainte, mon coeur balance. "Neon Bible" est un disque que j'aimerais pouvoir chroniquer dans un an seulement, le temps d'apprécier pleinement toute sa complexité. Malheureusement, le temps presse, surtout pour un disque si attendu. Un disque que j'attendais également, mais avec une joie teintée d'angoisse. Un frisson dans la plume, j'imaginais déjà le pire. Et si je n'aimais pas "Neon Bible" ? Déjà mythiques après leur premier album, l'éblouissant "Funeral", The Arcade Fire appartient d'ores et déjà à la guilde enviée des artistes intouchables, celle dont le talent aussi rare qu'unique interdit toute critique
Oh, bien sûr, avant cette 2è production, quelques voix pessimistes s'étaient élevées, isolées dans un marasme fébrile et enthousiaste. "Neon Bible" ne serait jamais aussi surprenant que "Funeral". Le petit orchestre montréalais allait perdre sa naïveté et son innocence au profit d'un sérieux né d'une kyrielle d'éloges trop kilométrique pour ne pas coller la grosse tête.
Etrangement, sans que cela entache le moins du monde l'extrême qualité de ce deuxième album, ces reproches sont plutôt justifiés.
D'une façon ridiculement évidente, "Neon Bible" ne peut pas bénéficier de l'exquis effet de surprise qui profita à "Funeral". Chronologie oblige. The Arcade Fire se trouve à présent face au défi malaisé de la confirmation. Bien que soutenus par une presse acquise à leur cause brillamment unique, les 7 montréalais ne sont pas encore tout à fait à l'abri d'un retour de bâton cinglant venu d'une opinion publique extrêmement versatile.
"Neon Bible" ne contient aucun titre d'une fraîcheur enjouée comparable à celle de "Rebellion (lies)". D'ailleurs, tout est dit dans le titre de ce disque. On imagine très bien les membres d'Arcade Fire totalement reclus dans leur église reconvertie en studio, en proie au silence quasi religieux précédant toutes les grandes œuvres. On imagine ensuite la genèse mystique des premiers morceaux, mue par une réflexion finalement bien peu rock'n'roll, dans le sens le plus basique du terme. On imagine l'émerveillement enfantin du groupe devant l'acoustique exceptionnelle des vieilles pierres saintes, son désir forcené de singularité, ses réflexions torturées.
Enfin, le résultat de cette démarche complexe se retrouve sur les platines du monde entier. "Black mirror" et ses violons explosent avec une profondeur vibrante, dans un final aux chœurs faussement naïfs. Puis "Keep the car running" prend le relais pour une mélopée parfaitement intemporelle, évocatrice de paysages automnaux grandioses, éclairés par une lumière dorée chatoyante. Plus minimaliste, la chanson titre apporte une pause bien méritée avant l'éblouissant "Intervention". Mu par un orgue à la limite de la grandiloquence, ce titre d'une intensité poignante s'offre même un xylophone pour 4 minutes aux paroles sombres ("Looking for a church when your family dies, you take what they give you and keep it inside") contrastant avec une atmosphère au romantisme flamboyant, digne du final d'"Autant en emporte le vent". L'intensité est à son comble quand débute "Black wave – bad vibrations", où l'on entend enfin la voix magnifique de Régine Chassagne, peut-être un peu délaissée vocalement dans cet album au profit de son Win Butler de mari. Ce dernier parachève ensuite un chef d'œuvre d'intensité durant "Ocean of noise", dont le piano aérien précède admirablement la chaleur des cuivres ultimes. Le disque prend ensuite une orientation plus new-wave avec "The well and the lighthouse" et "No cars go", déjà présent sur le premier EP du groupe et orchestralement magnifié ici. Accordéons, xylophones, les instruments les plus inhabituels se succèdent sans le moins faux pas, jusqu'à l'immense et soul "My body is a cage". L'orgue se tait. Et l'on reste béat d'admiration, un frisson résiduel sur l'échine. Car il n'est pas d'exercice plus périlleux que le lyrisme. Les inclassables de The Arcade Fire peuvent se targuer d'être de sacrés funambules.
Classe : "Black mirror", "Intervention", "My body is a cage", "No cars go"
Crasse : "Antichrist television blues"
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