Zone inondable

Publié le par Alex la Baronne

NDLR : un article sur "Bang bang rock 'n' roll" d'Art Brut était initialement prévu, mais mon humide destin en a décidé autrement…

J'aime l'eau. Et celle-ci me le rend bien, voire même trop. Mes ennemis auraient-ils jeté une poupée vaudou à mon effigie dans le Rhin ? Peut être… Canalisations incontinentes, cieux déchaînés, mes vaseuses aventures se suivent sans se ressembler… Voici le premier épisode d'une saga pourrie par l'humidité.

Volvic en libre service

Mme J. exulte. D'un geste triomphant, elle désigne le terne intitulé projeté au mur. "Les polymères : quel avenir ?". Remplacez "polymères" par "ingénieurs" et vous obtiendrez la question phare de ma promotion, perdue entre ANPE et doctorats vains. Je baille.

- Vous êtes très chanceux ! s'exclame Madame J., son regard de veau mort braqué sur ma glotte. Un séminaire sur les polymères, votre spécialité, a lieu les 5 et  6 Décembre et… (Suspense insoutenable) vous êtes invités ! L'école de chimie de Clermont – Ferrand…

Ma mâchoire claque brusquement. Clermont – Ferrand ?

- L'école de chimie de Clermont – Ferrand nous paie le logement et le transport. Ne vous inquiétez pas, j'ai tout organisé.

Gloussements discrets et entendus. Malgré sa belle assurance, Mme J. est la Desperate Housewife du bécher. Entre la soude renversée sur ses malheureux élèves et les appareils de chromatographie détraqués par ses soins, elle apporte une touche de désorganisation féminine dans sa virile unité de recherche. "Une histoire de quotas" grommèlent les plus cyniques.

- Nous partons tous les 12

- Nous sommes 14.

Effarée, notre GO entame un compte laborieux des forces en présence. Après 2 vérifications, l'évidence tombe. Nous sommes bel et bien 14. La faute aux 2 étudiantes espagnoles terrées au fond de la salle, 3 cigarettes à demi roulées sur leur table.  Tel un flamby périmé, le visage de Mme J. s'effondre. Que faire?

- Et bien nous partirons tous les 14, finit-elle par décréter, l'œil fixé sur les spinguettes, lesquelles ne la comprennent pas et s'en fichent éperdument. Je nous ai trouvé un train le DIMANCHE 4, à 13h09. Arrivée à Clermont à 19h30.

Presque 7 heures pour 350 km. "A nous de vous faire préférer le train.". Parfois, je me demande si la SCNF n'abrite pas une armée de publicistes blagueurs.

- Et bien… soupire mon amie M., on va bien se faire chier.

Une déclaration d'une sobriété prophétique.

4 Décembre. Notre train file (se dirige) vers la capitale auvergnate. Les parties de coinche meublent convenablement ce long voyage jusqu'à la funeste gare d'Issoire. Immobilisé pour de mystérieuses raisons, notre tortillard y restera 2 heures.  2 heures de conversations théologiques peu éclairées, 2 heures sans vivres et surtout, 2 heures sans chauffage par -5°C… Jamais pris de court, les mectons de ma promotion sortent leur chaudière personnelle : un magnifique cubi de rouge, qu'ils déniaisent immédiatement. Une odeur de vigne frelatée envahit le wagon, les répliquent savoureuses fleurissent. "Et si on pissait par la fenêtre ?" propose l'un d'eux. Le train repart avant l'exécution de ce beau projet. Avec 2h30 de retard, nous rejoignons enfin notre destination.

 

Clermont – Ferrand/ Kazakhstan, la rime est facile. Arrivés à notre "hôtel", un parfum slave nous enivre. Quelques colosses blonds bavassent dans un sabir cyrillique, le couteau ostensiblement calé dans la poche de leurs jeans défraîchis. Notre chambre se révèle à la hauteur de l'accueil. Une bouffée d'air sibérien nous surprend dès la porte ouverte. Pas de samovar pour nous réchauffer, rien. Il nous faudra supporter les courants d'airs vicieux sous une unique couverture mitée, avant une douche salutaire, prise à l'aide d'une pomme reliée au lavabo. A côté, nos camarades pochtronnent allègrement leur cubi. Aussitôt, le débat fait rage dans notre modeste dortoir, où une partisane de la prohibition, une abstinente réservée, une honorable leveuse de coude (moi), une mondaine pompette et une semeuse de galettes invétérée se disputent avec la ferveur de leurs convictions. Boire ou geler ? Il faut dormir.

Minuit. Toc toc toc.

- Qui est-ce ?

- C'est la police.

La dernière fois que j'ai vu la police, elle ne portait pas un jogging et ne matait pas les jeunes filles d'un air concupiscent, avant de les suivre jusqu'à leur pauvre demeure.  

4 heures AM. Ploc ploc ploc. Toc toc toc.

- Va chier Navarro, grommelle-je.

Nous faisons la sourde oreille jusqu'à ce que l'importun dégage.

La même scène se répète à la porte voisine, celle de nos amis. F. se lève et déverrouille l'entrée, la tête encore bien lourde de l'orgie passée. Un pompier lui fait face.

- Vous avez de l'eau ?

- Ben ouais, au robinet, dit-il avant de claquer la porte au nez du soldat du feu.

 Un demi-tour incertain vers son paddock amorcé et F. patauge, le pied nu et innocent, dans une mare d'eau saumâtre. Une canalisation vient de céder dans le foyer. La chambre est totalement inondée tout comme la troisième piaule acceuillant notre délégation. Nous sommes les seules rescapées.

Ploc ploc ploc...

7 heures AM. Mes molaires traumatisées hurlent au crime devant ce quignon de pain rassis. Soudain, toutes les têtes se tournent dans la même direction. Hébétés, nous regardons A. franchir le seuil du réfectoire. Il a des airs de cosaque défraîchi avec son T-Shirt militaire à l'effigie bienveillante du Che, sous lequel siège… un pagne en draps de lit que Paco Rabanne n'aurait pas renié.

- Mon seul pantalon est trempé, s'excuse-t-il.

10 heures AM. Monsieur M., directeur de notre école, vient nous saluer. Comme toujours, il semble revenir d'un congrès gaulliste. Une caractéristique peu appréciée par le fort en gueule Georges Frèche, qui, à peine élu président de la région Languedoc-Roussillon pour le compte du PS, gela les subventions nécessaires à la construction d'une nouvelle école. Il faut dire que Monsieur M. avait permis au candidat UMP d'organiser un meeting dans les locaux de l'ancienne. 4 mini viennoiseries en main, j'observe avec intérêt la métamorphose de Mme J..  Soudain aimable, notre accompagnatrice lui vante les mérites de notre formidable équipe ingénieure. Intelligents, intéressés, aucun qualificatif n'est trop beau. Exaspérée par tant d'hypocrisie, je lance tout à trac un "Ils sont bons les croissants !". Les miettes constellent mon pardessus, j'ai la bouche pleine et je m'en fous.

- Purée, Alex, t'as abusé avec le patron et Mme J., me lance plus tard une de mes amies, il n'est pas si mal ce voyage !

 

 

* Rassurez vous, je serai bien moins épargnée dans les prochains épisodes.

Publié dans Bla Bla divers

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C
oh, tu sais, moi je préfère le nord de toutes façons, donc...
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A
Ah... C'est plus embêtant...J'espère au moins que cette obligation n'a pas été trop pénible :-) ! En fait, j'ai dit ça car à Montpellier, nombreux sont ceux qui s'accrochent à l'école comme des berniques à leur rocher. Sans doute les attraits de la vie méridionale causent-ils ce phénomène !
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C
"C'est beau d'aimer son école au point d'y rester pour la thèse"j'ai pas trop eu le choix... !
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A
Oui c'est vrai ! Car, si je devais commenter mon article, je serai bien embêtée ! Merci à tous mes lecteurs inspirés... (ah c'est beau comme une chanson de Renaud ce que je dis !)
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T
En fait en général, j'écris plus souvent ce genre d'article que je n'en commente...et là je me rends compte à quel point mes lecteurs sont géniaux de toujours trouver des commentaires à faire ! :-)
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